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Clément Bénech

Clement-Benech par ©Céline Nieszawer.jpeg

Texte composé par le lauréat pour la remise des bourses le 17 novembre 2023  

Chers membres du jury du fonds de dotation Vendredi soir, Cher Serge Toubiana,


Permettez-moi de vous remercier de l’honneur que vous me faites en ajoutant mon nom à la liste encore courte, mais déjà prestigieuse des lauréats de la bourse Emmanuèle-Bernheim. Cette bourse, si elle ne récompense pas que des romans, encourage je crois un certain « esprit » romanesque, l’esprit peut-être de celle dont les mânes flottent au-dessus de nous ce soir.L’esprit romanesque d’Emmanuèle Bernheim, c’est le sens de l’événement, le sens de la péripétie bien sûr – qui différencie le romancier des autres gens de plume –, mais aussi me semble-t-il cette conviction, caractéristique du roman, d’une proximité entre le sublime et le trivial, entre le gigantesque et le minuscule. Les lecteurs de Tout s’est bien passé se souviennent tous du personnage de ce père caractériel et attachant qui, à 88 ans, prend la décision courageuse de choisir sa mort, décision mêlée au regard de l’autrice qui ne rate aucun geste, aucune intonation ; je retiens pour ma part ce moment où le père apprend qu’il faudra se rendre à Berne, en Suisse, pour y boire la potion ultime. Cet esthète de toujours fait alors une moue et lâche : « J’avais été un peu déçu par la fondation Klee », dans une allusion au célèbre musée bernois. Il y a là un humour propre, je crois, à l’esprit romanesque. Le paradoxe, dans le projet que vous encouragez ce soir et qui est le mien, c’est que je voudrais chercher le romanesque non dans la fiction – comme je l’ai fait par le passé –, mais dans les histoires vraies. Neuf histoires de vie, neuf fragments biographiques, reliés par le fil ténu de ma curiosité ainsi que par l’intuition, chère à deux « étoiles du berger » personnelles, Patrick Modiano bien sûr et l’écrivain allemand W. G. Sebald, qu’il existe une connexion – ou mieux, un couloir d’air – entre les gens, les noms et les lieux. Ainsi entre Doïna, la mère de l’actrice Michèle Laroque, et sa Roumanie natale, qu’elle a fuie au début de la période communiste, pour rejoindre Liverpool depuis Manchester, puis Nice dans le Sud de la France, grâce à Scotland Yard et à la BBC ; entre l’abbé Prévost, l’auteur défroqué et refroqué de Manon Lescaut, et le petit village de Vineuil-Saint-Firmin, dans l’Oise, où je me suis marié cet été et où le sulfureux abbé a passé les dernières années de sa vie avant d’y mourir, et d’être enterré dans le jardin qui est aujourd’hui celui de l’ancienne professeure d’anglais de ma femme ; entre mon aïeule Jeanne Pascaud, la grand-mère de mon grand-père, et le boulevard des Italiens à Paris, où elle créa avec ses deux sœurs à la fin du XIXᵉ son atelier de couture qui devint plus tard la fameuse « maison Pascaud », maison qui habilla le théâtre de la Belle Époque aussi bien que les débuts du cinéma – notamment Joséphine Baker dans Zouzou en 1934… Ce n’est pas l’exhaustivité biographique que je recherche dans tous ces destins, mais à prélever, à extraire leur fragment le plus incandescent et le plus romanesque.

 

Enfin, avant de laisser la parole, je voudrais dire combien cette dotation est précieuse pour moi, qui ai passé quelques années à plancher sur mon dernier roman, à tirer parfois le diable par la queue, jusqu’à me demander si cette histoire d’écriture était bien raisonnable et s’il n’était pas temps de devenir enfin comptable, comme tout le monde. Être romancier, publier des romans était mon rêve, et le demeure aujourd’hui. Aussi, je voudrais retourner une célèbre phrase de Freud, qui dit que le rêve est le gardien du sommeil ; moi, ce n’est mon sommeil, c’est mon rêve qui doit être conservé, qui doit être prolongé. Et puisque vous avez eu la bonté de m’inscrire sur la liste de vos lauréats, je m’autorise à vous inscrire, à mon tour, sur la liste des gardiens du rêve. 

C. B.
17. 11. 2023

Clément Bénech est l'auteur de cinq romans depuis 2013. Son dernier ouvrage est paru en 2023 chez Flammarion.

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